Après avoir privilégié l’étude des textes sacrés, littéraires puis « pragmatiques », la traductologie s’est tournée vers la production scientifique. L’intérêt a émergé au début des années 2000 et s’est intensifié au cours des dix dernières années. De la traduction de On the Origins of Species par une Clémence Royer « en colère » (Brisset 2002), à celles des textes de sociologie reflétant l’habitus de « servitude volontaire » (Simeoni 2001) du traducteur, en passant par la première version américaine « scandaleuse » du Deuxième Sexe (Mann et Ferrari 20217), les études ont souvent contribué à réaffirmer le vieil adage. Une perspective différente, proposée par des chercheurs tels que Price (2008), consiste à explorer en quoi la traduction, avec tous les déplacements qu’elle implique, peut aussi favoriser l’élaboration et la clarification de concepts et théories. La présente communication propose d’explorer cette avenue en étudiant une trajectoire singulière, celle de Bruno Latour. Elle se concentre sur une période précise : les dix années séparant la publication de Laboratory life (1979), première monographie cosignée avec Steven Woolgar, et la parution de La Science en action (1989), traduction de Science in Action signée par Michel Biezunski et révisée par l’auteur. À partir de la consultation d’archives, d’entretiens ainsi que la comparaison des textes publiés, je tenterai de retracer les multiples opérations de traduction – interlinguale, mais pas seulement – à l’œuvre durant cette période et de mettre en relief en quoi celles-ci ont pu nourrir le travail de conceptualisation dans lequel ce chercheur était alors activement engagé.
Hélène Buzelin enseigne au département de linguistique et de traduction de l’Université de Montréal. Ses travaux, empruntant une démarche sociologique et ethnographique, portent sur la traduction en contexte éditorial. Après avoir documenté la genèse de traductions littéraires, elle a étudié le processus d’attribution des subventions à l’intraduction du CNL, puis s’est penchée sur la traduction des ouvrages destinés à l’enseignement supérieur. Les résultats de ses recherches sont publiés, entre autres, dans les revues Meta, Target, TTR, The Translator, Translation Studies, Translation in Society. Elle est l’auteure de Sur le terrain de la traduction (Gref, 2005), a codirigé avec Alexis Nouss Traduction et conscience sociale. Autour de la pensée de Daniel Simeoni (TTR 26/2, 2013) et, avec Marie-Alice Belle, Matérialités de la traduction (TTR 33/2, 2020). Elle a été co-titulaire avec Isabelle Collombat d’une chaire croisée Paris 3/UdeM (2019-2022) et membre du groupe de recherche « Les Fabriques de la traduction » du CRPM de l’université Paris Nanterre.