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SIMONA CORLAN IOAN, Université de Bucarest

Publié le 22 janvier 2020 Mis à jour le 14 mai 2021

Imaginaire Tombouctou. Histoires des récits occidentaux sur la ville pendant les XIXe –XXe siècles

Date(s)

le 4 juin 2021

16h-18h
en ligne

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Lieu(x)

Bâtiment Ida Maier (V)

Le monde entier a retenu son souffle pendant les évènements politiques et militaires qui ont secoué le Nord du Mali, en 2012 et en 2013. En Occident, les responsables politiques, la société civile et les médias ont pris position et ont dénoncé les barbaries perpétrées par les djihadistes. Les leaders des pays africains ont invoqué les dangers pour l’avenir des États nationaux et pour l’avenir du continent. L’appel à l’histoire est devenu l’argument incontestable pour convaincre le monde entier de la nécessité d’une intervention coordonnée et rapide et Tombouctou a été choisie à jouer le rôle de la malheureuse star d’une guerre avec des conséquences difficiles à contrôler. La ville malienne est tombée le 1 avril 2012 entre les mains du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA) et sous les coups d’Al-Qaida au Maghreb Islamique (AQMI) et les quelques mois au cours desquels ils ont mis la ville sous leur contrôle, ont permis aux djihadistes d’imposer la charia, de détruire des mausolées des saints de Tombouctou et de brûler des manuscrits précieux. Le monde entier s’est coalisé pour sauver la ville et son patrimoine et, surtout, un symbole en danger. Au fil du temps, Tombouctou est devenu le symbole, à la fois, des valeurs culturelles d’un continent et de son histoire, de l’inaccessibilité, des rêves de perfection et des mondes fabuleux et, pendant l’occupation djihadiste, le symbole d’une civilisation mondiale sans frontières, ni races, ni religions.
Une légende a été tissée autour de la ville africaine pendant plusieurs siècles et dans sa construction un rôle important a été joué par le prétendu isolement de la ville, dont on a donné les explications les plus contradictoires : la proximité du désert impossible à traverser, le voisinage des tribus des cannibales et la cruauté des maîtres-gardiens – les tribus des Touaregs – sujets eux-mêmes des récits les plus fascinants. Tellement imaginée et tellement racontée, Tombouctou arriva à ne plus structurer un territoire propre devenant le lieu de partout et de nulle part, représentant l’inconnu, de tout ce qui est interdit et possible. Capitale d’un empire, centre du commerce sur le continent, lieu de rencontre de l’intelligentsia africaine, ville sainte des musulmans du sud du Sahara ou endroit où l’on aurait caché des richesses convoitées dans le monde entier, possédant une architecture parfaite qui témoigne son excellence, étant situé au-delà du désert dans un espace dont le monde européen n’avait que de vagues connaissances, la ville de Tombouctou fut imaginée sous une pluralité de formes.
Au cours des siècles, le monde européen a dû exalter dans l’imaginaire ce qui était différent pour être convaincu de l’altérité de l’ailleurs. Cet Autre Part dans l’espace terrestre a été composé, dans beaucoup de cas, en privilégiant les lieux avec une grande densité d’extraordinaire, situés toujours dans des régions difficiles à atteindre à cause de la distance et de l’isolement. Le point de départ se trouva dans la réalité, dans la topographie, dans la société, dans l’histoire, mais, en fait, il ne fut qu’un point d’éloignement. Entre la géographie réelle et la légende s’articule une trajectoire imaginaire sur le parcours de laquelle la construction des mondes différents se fait en respectant les règles depuis toujours établies. Tombouctou, à propos de laquelle on a tant raconté et écrit en Europe, au XIX siècle, se situe à la périphérie d’un univers ordonné conformément à un corpus d’images consacrées par des pratiques sociopolitiques et militaires anciennes, comprenant les « civilisés », ces communautés qui ont pour norme un code commun, et les « barbares », les autres, à l’extérieur du monde de l’observateur. Tombouctou, celle d’avant la « découverte » reste, tout au long du XIXe siècle, un Autre éloigné, mais pas si éloigné à ne plus trouver des éléments pour la rapprocher du modèle, ni si proche à ne plus pouvoir opérer la réduction à l’Autrui. Elle est éloignée et proche en même temps : éloignée puisqu’elle appartenait à une autre aire géographique et culturelle ; proche puisqu’elle était considérée comme ayant le potentiel de devenir celle avec qui on peut faire une communauté et avec qui on peut communiquer, celle qui pourrait devenir, à un moment donné, l’Autrui. Les représentations ont toujours gardé le potentiel d’atteindre les extrêmes. On peut imaginer l’ambivalence des sentiments des Européens devant l’inconnu : la nostalgie des espaces parfaits et la peur. Les informations transmises ont été assez différentes et contradictoires pour être dissoutes dans le territoire de l’imaginaire.

Discutant / Brigitte Krulic, Université Paris Nanterre

Mis à jour le 14 mai 2021